PROFILS | Publié : décembre 2020

Repenser le handicap : un dialogue s’ouvre

La professeure Maria Fernanda Arentsen, codirigeante de l'ouvrage Regards croisés sur le handicap.

La professeure Maria Fernanda Arentsen, a assuré la codirection d'un ouvrage sur le handicap.

À la suite d’un colloque sur le handicap tenu en juin 2018 à l’Université de Saint-Boniface (USB), la professeure Maria Fernanda Arentsen a vu une occasion de publier un livre qui rassemblerait des auteurs de partout dans le monde de la francophonie. C’est donc à l’automne 2020 qu’a vu le jour Regards croisés sur le handicap en contexte francophone, un ouvrage qui offre des perspectives pluridisciplinaires sur le handicap, telles historique, anthropologique, littéraire, philosophique, éducative ou encore judiciaire, ainsi que des perspectives intersectionnelles, comme le handicap chez les femmes ou chez les enfants.

Codirigé par Maria Fernanda Arentsen, professeure au Département d’études françaises, de langues et de littératures  à l’USB, et Florence Faberon, professeure de droit public à l’Université de Guyane, le livre est certes un travail collaboratif. « L’ouvrage comprend des textes d’auteurs de plusieurs endroits au Canada et du monde : Manitoba, Québec, Ontario, Belgique, France, Afrique… Certains des auteurs sont des universitaires, d’autres sont des artistes, en musicothérapie, par exemple », souligne la professeure de l’USB.

En fait, du point de vue des spécialistes du domaine du handicap, depuis les dernières décennies, c’est « un ouvrage sans précédent » au sein de la francophonie, rapporte-t-elle, car c’est la première fois que ces regards croisés sur le handicap sont posés à partir des quatre coins de la francophonie. Il y a un vrai dialogue entre diverses visions dans ce livre.

« En outre, ce colloque a mis la francophonie manitobaine sur la carte. Plus encore, il a mis la double minorisation des Franco-Manitobains en situation de handicap sur la carte! Le monde est venu chez nous. Ça, c’est déjà un grand succès. »

Réfléchir ensemble sur le handicap est d’autant plus important que les personnes en situation de handicap et leurs familles font face, encore aujourd’hui, à de multiples défis qui ont un effet sur  leur culture, leur identité.

« Ici au Manitoba, nous manquons de services en français pour les personnes vivant avec un handicap. Il est même impossible au Canada hors Québec de se faire enseigner la langue des signes en français, que ce soit la langue des signes française ou la langue des signes québécoise.

« Alors, si un enfant ayant une déficience intellectuelle nait dans une famille francophone et ne peut apprendre deux langues, la famille entière devra passer à l’anglais pour pouvoir bénéficier des services. Ils ne pourront donc pas se parler dans leur langue maternelle en raison du manque de services disponibles. » Un manque qui peut même être très problématique pour les nouveaux arrivants francophones ne maitrisant pas l’anglais.

Regards croisés sur le handicap en contexte francophone, publié aux Presses universitaires Blaise Pascal, appelle donc à repenser les sociétés et les droits des personnes en situation de handicap, et à les considérer comme des citoyens à part entière, car, selon madame Arentsen, même si elles le sont en théorie, elles ne le sont pas dans les faits.

« Dans les sociétés occidentales, la mentalité dominante est qu’il faut travailler, être productif et être excellent. Et comme un handicap peut nuire à la productivité, on peut percevoir les personnes vivant avec un handicap comme des citoyens de seconde classe. Le monde actuel n’est pas aménagé pour les personnes handicapées », affirme Maria Fernanda Arentsen.

La professeure en sait quelque chose. « Ma propre famille est en situation de handicap. Mon frère Pablo est atteint de trisomie et est non verbal. On a grandi ensemble et aujourd’hui, je m’occupe de lui. Alors tous les défis, toutes les questions autour d’une personne handicapée, je les ai vécus!

« Mais pour moi, pendant toute mon enfance, mon frère était un enfant comme n’importe quel autre. C’était juste mon frère, parfait comme il était. Ce qui est normal n’est qu’une fabrication de la société, n’est-ce pas? »

La route est longue, car elle va chercher au plus profond de nos symboles, de nos codes. « Souvent, quand on ne vit pas le handicap, on ne se rend pas compte des choses. On a des concepts très ancrés en nous, et il est difficile de les remettre en question spontanément. Par exemple, on associe souvent la lumière au bien, à la joie, au bonheur. Cela veut-il dire que les personnes aveugles sont vouées à des vies malheureuses, car elles n’ont pas accès à la lumière?

« Ou encore, lorsqu’on continue de répéter que le propre de l’humain est la raison. Cela voudrait-il dire que les personnes qui ont perdu leurs capacités cognitives à cause d’une maladie ou qui sont nées avec une déficience intellectuelle ne sont plus ou pas des êtres humains?

« Réfléchir sur le handicap nous invite à nous remettre en question profondément, aussi bien en tant qu’individu qu’en tant que société. Je trouve que c’est un défi nécessaire. »

Maria Fernanda Arentsen garde espoir. « Même s’il reste encore beaucoup à faire, on voit déjà une grande amélioration. De nombreux efforts soutenus sont faits au Canada pour mieux servir les personnes en situation de handicap. » Lancer le dialogue grâce à Regards croisés sur le handicap en contexte francophone, c’est un bon pas en avant.

Par ailleurs, la professeure annonce la publication imminente de deux autres ouvrages collectifs sur la question du handicap qu’elle a également codirigés et qui font eux aussi suite à des colloques internationaux : Handicap, emploi et insertion, qui fait suite à un colloque à Clermont‑Ferrand, en France, et Handicap et espaces, après un colloque à Casablanca, au Maroc.

 

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