Entrepreneure, leadeur communautaire et bâtisseuse infatigable, Carole Freynet-Gagné est une figure incontournable de la francophonie manitobaine et canadienne. Fondatrice et copropriétaire de Freynet-Gagné Traduction et Consultation, elle est également propriétaire et présidente-directrice générale de l’entreprise Apprentissage Illimité, une maison d’édition qui conçoit et distribue des ressources pédagogiques novatrices en français.
Membre du Cercle partenaire de la Société philanthropique de l’USB, Carole est reconnue pour sa vision stratégique, son dynamisme et son profond attachement à la transmission du savoir en français. Cette année, elle s’est vu décerner le Prix Riel 2025, une distinction soulignant son engagement remarquable envers la vitalité et le rayonnement de la langue française.
Titulaire d’un double baccalauréat en traduction et en éducation de l’Université de Saint-Boniface (USB), Carole Freynet-Gagné revient sur les étapes marquantes de son parcours, les apprentissages tirés de son virage professionnel et son engagement de longue date envers la francophonie d’ici et d’ailleurs.
Qu’est-ce qui t’a motivée à passer de la traduction vers la création et la vente d’outils d’apprentissage en français?
Carole Freynet-Gagné (C. F-G.) : En 2016, Raymond Poirier m’a proposé de reprendre Apprentissage Illimité. Depuis 25 ans, je partageais mon temps entre la traduction et l’enseignement du français — une sorte de double vie. Apprentissage Illimité représentait pour moi une occasion en or : celle de transmettre mon expertise pédagogique… et de contribuer à la francophonie, activement. Depuis des années, je créais des ressources pour diverses institutions, alliant jeu, théâtre et grammaire. Avec Apprentissage Illimité, j’avais enfin la possibilité de donner vie à mes idées et de les commercialiser.
En regardant ton parcours, quels apprentissages t’ont été les plus précieux dans ta transition vers l’entrepreneuriat?
C. F-G. : L’esprit entrepreneurial a toujours fait partie de moi. Mon père, lui-même entrepreneur, m’a transmis les bases dès mon jeune âge, alors que je travaillais dans son entreprise. Cela s’est naturellement enraciné en moi. La souplesse, la créativité et la ténacité sont des compétences que j’ai cultivées à travers mes engagements culturels et artistiques. Le passage vers l’entrepreneuriat s’est donc fait de façon fluide et instinctive.
Quel impact souhaites-tu que tes ressources pédagogiques aient sur la communauté francophone d’ici et d’ailleurs?
C. F-G. : Je veux transmettre la passion, l’engagement et l’émerveillement. Offrir à tous les enseignants une étincelle francophone, pour qu’ils puissent à leur tour allumer des étincelles dans les yeux de leurs élèves. Je veux tisser des liens sincères, des liens qui élèvent, qui rassemblent et qui font du bien.
Recevoir le Prix Riel est une reconnaissance importante. Que représente ce prix pour toi, personnellement et professionnellement?
C. F-G. : Les mots ne suffisent pas. Je ne m’y attendais pas du tout. Être reconnue par les personnes qui comptent le plus, c’est le plus beau sentiment au monde. Et comme j’ai été soutenue à 100 % par ma famille et mes amis, j’accepte cette reconnaissance avec une profonde humilité, consciente que tant de personnes méritantes ne la reçoivent pas toujours.
Comment tes études à l’Université de Saint-Boniface ont-elles influencé ton engagement envers la francophonie et ton parcours professionnel?
C. F-G. : Cette période de ma vie a été extraordinaire. J’ai adoré mes années à l’USB (à l’époque, le CUSB). [J’étais originaire] de la campagne, [et] mon arrivée à l’USB a été une véritable ouverture sur le monde. Tout semblait possible, et je me suis investie pleinement dans tout ce qu’on pouvait entreprendre. Ce fut une époque d’effervescence, tant sur le plan personnel que communautaire.
Mon identité francophone s’est affirmée et renforcée au fil de rencontres marquantes – dans les salles de classe, mais aussi à travers les activités culturelles qui nourrissaient mon quotidien : le Cercle Molière, le CJP, le Canot, le Festival du Voyageur, les 100 Nons, et bien d’autres.
Mais le véritable point d’ancrage, c’était l’université. C’est là que j’ai pu m’arrêter, réfléchir en profondeur à qui j’étais et à ce que je voulais devenir. C’est là que j’ai jeté les bases de mon engagement futur, en prenant des décisions qui allaient tracer ma trajectoire personnelle et professionnelle.
À travers tes nombreuses implications bénévoles, quelle initiative te tient particulièrement à cœur et pourquoi?
C. F-G. : Mes années au conseil d’administration du Centre de la francophonie des Amériques ont été pour moi une expérience profondément transformatrice. Elles m’ont permis de redéfinir mon identité, de l’élargir, de la décloisonner. J’y ai rencontré des personnes inspirantes – venues de Louisiane, du Mexique, de partout au Canada, et bien sûr du Québec – qui vivent leur francophonie chacune à leur façon, avec la même passion et la même fierté.
En abolissant les frontières, j’ai appris à voir le français non seulement comme ma langue maternelle, mais aussi comme une langue fraternelle.
Selon toi, quels sont les plus grands défis que doit relever aujourd’hui la francophonie canadienne et internationale?
C.F-G. : Ouf, LA question. Je dirais : la centralisation du pouvoir culturel et médiatique, ainsi que l’érosion linguistique. Ce sont de grands enjeux, souvent perçus comme étant hors de notre portée.
Ce qui m’inquiète particulièrement en ce moment, c’est que le français soit trop souvent réduit à une langue d’école – plutôt qu’une langue de vie, de création, de lien social. Le français, ce n’est pas seulement un ensemble de règles ou de structures : c’est une langue porteuse d’histoires, de chansons, de traditions, d’une vision du monde.
Oui, nos écoles jouent un rôle essentiel dans l’épanouissement de la francophonie, mais elles ne peuvent pas assumer cette responsabilité toutes seules. La francophonie a besoin de tous ses milieux de vie. En parlant français entre nous – à la maison, avec nos enfants, dans nos commerces, dans la rue – on fait vivre un héritage, on l’ancre dans le quotidien, on crée des milieux de vie pour nos enfants. On montre que le français n’est pas seulement une langue à apprendre : c’est une langue à habiter.
Tu as collaboré avec plusieurs organismes et réseaux francophones. Comment vois-tu l’importance de ces collaborations pour l’avenir de notre communauté?
C. F-G. : La francophonie n’a aucun avenir sans collaboration. Dans un monde dominé par la culture de masse, on ne peut rêver, bâtir, ni faire vivre notre francophonie sans s’unir. Être francophone aujourd’hui, c’est possible uniquement grâce à la collaboration.
En tant qu’entrepreneure, je vois la collaboration non seulement comme une nécessité, mais aussi comme une stratégie : une manière de faire plus avec moins… et, au final, d’en faire bien plus.
Il faut apprendre à voir le cumul des intérêts non pas comme une menace, mais comme une force collective, capable de nous faire avancer, même à contrecourant.
En tant que leadeuse multidisciplinaire, quel conseil donnerais-tu aux jeunes francophones qui souhaitent faire une différence dans leur milieu?
C. F-G. : Je crois qu’il est facile pour les jeunes générations d’oublier qu’aucun droit n’est acquis de façon permanente. Le monde peut reculer bien plus vite qu’on ne l’imagine.
J’aimerais tant que cette période trouble serve de réveil pour celles et ceux qui croient que la défense des droits des francophones ne demande plus d’efforts. Rien n’est garanti.
Seule une vigilance active et constante, alliée à une confiance résolue en notre capacité d’agir, peut et doit continuer de guider notre engagement en francophonie.
Quels projets te passionnent en ce moment et que pouvons-nous attendre de toi dans les prochaines années?
C. F-G. : Ce qui m’anime en ce moment, c’est la pédagogie du changement et le cheminement vers l’engagement. On peut investir énormément d’efforts dans l’offre de services – proposer une éducation en français, organiser des activités culturelles – mais sans une démarche consciente pour cultiver l’engagement envers la francophonie et la communauté, on passe à côté d’une force essentielle.
En accompagnant les familles et les milieux scolaires vers une vision centrée sur la citoyenneté francophone, on valorise notre unicité. C’est en se rassemblant autour d’une cause commune que l’on assure la vitalité de la francophonie de demain.
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1Depuis 1983, la Société de la francophonie manitobaine rend hommage à des francophones du Manitoba qui, de façon remarquable, ont contribué, surtout bénévolement, au développement de la collectivité, tout en suscitant chez les nôtres le gout de vivre en français. Source : Prix Riel – Société de la francophonie manitobaine.