Vol. 8, no 1, 1996, p. 49-65
Du voyage à l'utopie: l'établissement d'une communauté dans le Nord-Ouest canadien
par
Rachel Lauthelier
Université de Montréal
Montréal (Québec)
RÉSUMÉ
Le terme du voyage est tout aussi important que son déroulement puisque c'est fréquemment la représentation de ce que l'on va trouver qui incite au départ. C'est la raison pour laquelle les récits de voyage et les récits utopiques sont généralement imbriqués. Les récits utopiques commencent souvent par un voyage lointain, car c'est dans un ailleurs difficilement accessible que se situent les cités idéales. Leur isolement est une garantie de leur pérennité. Au XIXe siècle, des missionnaires voyageurs se sont établis au confluent des rivières Rouge et Assiniboine afin d'évangéliser la région. À l'écart du monde, la communauté qu'ils ont constituée rappelle en de nombreux points l'utopie de Thomas More. Bien que d'origines fort différentes, les individus de cette société se sont regroupés sous l'égide d'une même religion, le catholicisme, et d'une même langue, le français. Les prélats ont attribué des lots de terre à chacun pour qu'ils mènent une vie réglée par les travaux des champs, ponctuée par les offices religieux. Dans le dernier quart du siècle, de nouvelles voies de communication ont ouvert cette région au reste du monde, et l'afflux d'immigrants a perturbé la vie tranquille qui s'y menait. En réaction, on relève deux mouvements, le patriotisme et le messianisme, qui véhiculent aussi des lieux communs inhérents à l'expression utopique.
ABSTRACT
Arriving at the end of a trip is just as important as getting there because it is often imagining the destination that motivates the departure. This is the reason why travel narrations and utopian stories are generally interwoven. Utopian stories often begin with a trip to somewhere far away because the ideal city is located in a barely accessible elsewhere; that the city is isolated guarantees its perpetual attraction. In the nineteenth century, travelling missionaries settled at the confluence of the Red and Assiniboine Rivers to evangelize the region. Cut off from the world, the community they formed reminds us, in many respects, of Thomas More's Utopia. Although of very different origins, the members of the community shared a common religion, Catholicism, and the same language, French. The prelates allocated plots of land to each individual to ensure he had an ordered life of work in the fields, punctuated by church services. In the last quarter of the century, communication routes opened the region up to the larger world and the arrival of immigrants disturbed this quiet life. In reaction to this, two movements can be noted: patriotism and messianism, which also convey features inherent in utopian expression.