Vol. 7, no 1, 1995, p. 155-171
Le non-dit: sa signification dans l'oralité
par
David Millar
Faculté Saint-Jean
University of Alberta
Edmonton (Alberta)
RÉSUMÉ
Notre participation à diverses études sur la transmission orale de l’histoire et à des activités d’improvisation théâtrale par une troupe franco-albertaine nous permet d’établir cinq catégories de non-dit: l’habituel, le gestuel, le rituel ou symbolique, l’inconscient et l’innommable. Nous fournissons des exemples du rôle important que jouent les divers types de non-dit en matière de récits autobiographiques, de représentations collectives et de créations ou de reconstitutions dramatiques. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le non-dit occupe une place de tout premier ordre dans les communications verbales avec les gens au cours d’entrevues et dans la transmission des traditions d’un groupe. Comment les auteurs d’entrevues en arrivent-ils à comprendre la vie d’une personne et à palper – par-delà ses paroles – son tempérament, ses sentiments refoulés, ses contradictions? Prendre conscience de ce «langage silencieux» (Hall) donne accès à un vaste réservoir d’outils qui se prêtent aux œuvres dramatiques et à d’autres genres de représentations artistiques et qui permettent d’appréhender des réalités individuelles ou collectives jamais consignées par écrit ou rendues accessibles auparavant. La quête de l’historien en vue de découvrir la vérité objective à l’aide de textes corroboratifs est mise en contraste avec ces sous-textes qui sont perçus de manière subjective et dont la vraisemblance dépend d’une compréhension fondée sur des éléments hors-texte. Nos conclusions empiriques concordent bien avec la théorie d’anthropologie littéraire élaborée par Poyatos et, plus particulièrement, avec les composantes de cette théorie qui portent sur les quatre domaines de signes sensoriels et sur l’agencement de ces signes selon les combinaisons propres à chaque culture. À l’instar de la théorie en cause, le fruit de notre recherche établit certaines pistes eu égard à la recherche interdisciplinaire qu’il faudra effectuer.
ABSTRACT
From our experience with various oral history projects and theatrical improvisation by Franco-Albertans, we distinguish five categories of non-verbal expression: the habitual, the gestural, the ritual / symbolic, the unconscious and the unspeakable. Examples are given of their signifying role in autobiography, collective representations, and their dramatic (re)creation. Paradoxically, the unsaid plays a major part in oral interviews with individuals, as well as the transmission of community traditions. How do interviewers arrive at an understanding of a person’s life-history that reaches beyond their words to character, to unvoiced feelings and contradictions? Awareness of this “silent language” (Hall) can provide a rich store of material for use in drama and other types of artistic representation, a process which can shed light on personal and collective realities which have remained unwritten or inaccessible. The historian’s search for objective truth through confirmatory written documentation, is contrasted with these subjectively-perceived sub-texts, whose verisimilitude depends on extratextual understanding. Our empiric findings accord well with Poyatos’ theory of literary anthropology, his four areas of sensory signs, and their deployment in culturally-specific combinations. Both our evidence and his theory suggest avenues of further interdisciplinary research.