Vol. 6, no 2, automne 1994, p. 181-199

 

Lecture euphorique et lecture dysphorique: le cas de Médéric Eymard

par

Maurice Arpin
St. Francis Xavier University
Antigonish (Nouvelle-Écosse)

RÉSUMÉ

S’appuyant sur certaines données théoriques de l’esthétique de la réception et de la socio-sémiotique d’Umberto Eco, cette analyse met en valeur deux perceptions opposées de Médéric Eymard, le héros de la nouvelle «De la truite dans l’eau glacée», du recueil Ces enfants de ma vie de Gabrielle Roy. La première aligne sur le personnage principal, un adolescent réfractaire, certains traits caractéristiques du héros mythique. Le lecteur est convié à une interprétation euphorique de Médéric, à la fois héros et messie. En revanche, une seconde lecture, dysphorique, s’impose depuis la vulgarisation récente de recherches en psychothérapie portant sur le traumatisme infantile. À la lumière de ces nouvelles données, il appert que le moi social de Médéric dissimule une dépendance affective paralysante. Le revers du mythe du héros transparaît dès lors, et le protagoniste qui, dans la première lecture, suscite l’admiration ou l’envie de tous se transforme en victime. En vertu de cette lecture symptomatologique, l’enfance dans l’œuvre de Gabrielle Roy, généralement considérée comme une période édénique de la vie, prend une dimension inattendue qui incite à réexaminer l’axiologie royenne.

ABSTRACT

Based on concepts stemming from reception theory and Umberto Eco’s socio-semiotics, this analysis proposes two opposing perceptions of Médéric Eymard, Gabrielle Roy’s main protagonist in “De la truite dans l’eau glacée”, the closing short story in Ces enfants de ma vie (Children of My Heart). In the first instance, Médéric, a rebellious youth, takes on characteristics of the mythical hero. The reading is euphoric for Médéric appears as both heroic and messianic. However, since the recent influx of psychotherapeutic research on infantile trauma, a dysphoric perception imposes itself. In light of these studies, Médéric’s persona masks a co-dependent personality. A negative side of the myth thus appears and the protagonist, who upon first reading, called up admiration or envy, is transformed into a victim. This symptomatic reading casts an unexpected light on Gabrielle Roy’s works, generally seen as one of the last bastions in Canadian literature where childhood is celebrated as a positive period in one’s life.