Vol. 34, no1 & 2, 2022, p. 333

 

Du livre brûlé au livre ressuscité: le père face à quatre personnages féminins clés dans l’œuvre royenne

par

Christina H. ROBERTS-VAN OORDT

RÉSUMÉ

Dans le présent article, nous regardons de plus près la fonction de la figure de la «petite sœur», lumière centrale de l’ensemble de l’œuvre royenne et contrepartie de celle du père. Dédette et le père semblent en fait jouer tous les deux un rôle primordial dans la naissance et la réalisation de la vocation littéraire de Gabrielle Roy, ainsi que dans l’édification de son œuvre. Tout d’abord, nous opposons la figure lumineuse de Dédette avec celle du père (né et élevé sous le signe de la détresse), pour ensuite mieux souligner la filiation étroite entre la grand-mère, la mère et les deux sœurs – Dédette et Gabrielle/Christine. Ces quatre personnages féminins clés semblent tous nés pour créer et transmettre le bonheur, grâce à leurs remarquables dons artistiques, et composent en fait une merveilleuse poupée russe, car Gabrielle Roy porte Dédette, sa mère et sa grand-mère en elle, et ses livres, comme les récits de la narratrice de La détresse et l’enchantement, les embrassent dans tous les sens du terme et deviennent autant de mises en abîme. On peut même dire que ces quatre âmes sœurs sont enchâssées les unes dans les autres à l’instar des récits auxquels elles donnent (directement ou indirectement) naissance, comme l’histoire-matrice de l’exode de la famille, par exemple, dont la grand-mère est l’héroïne, la mère la narratrice principale, et Gabrielle, la fille, l’auteur et la seconde narratrice. Tout comme les dons artistiques (éminemment consolateurs) se transmettent de mère en fille, ces quatre «magiciennes» surgissent l’une de l’autre pour donner naissance aux récits (exemples magnifiques du phénomène de l’autoreprésentation du texte) qui composent le grand livre global – le Künstlerroman –grâce auquel Gabrielle Roy venge finalement la détresse, non seulement de son père, mais de tous les siens. Ainsi, à la place du pauvre livre détruit, appartenant au père, dont l’histoire est racontée dans l’autobiographie, naît finalement la grande œuvre royenne.

ABSTRACT

This article more closely examines the illuminating role of the «little sister» (who is in sharp contrast with the father) in the body of Gabrielle Roy’s works. In fact both Dédette and the father seem to play a fundamental role in the development of Gabrielle Roy’s literary vocation as well as in the gradual edification of her work. Accordingly, we contrast the character of Dédette with her father’s (born and raised in the dark shadow of an unhappy life), to more closely emphasize the continuity between the grandmother, the mother and the two sisters – Dédette and Gabrielle/Christine. These four key female characters all seem to have been born to create and impart joy, thanks to their remarkable artistic gifts; they in fact are a sort of Russian doll, for Gabrielle envelops Dédette, her mother and her maternal grandmother within herself, and all her stories (particularly those «stacked» within the autobiography) embrace them, in the full meaning of the word, and become different mises en abîme. We can even say that the four kindred women are nestled one within the other, just like the stories they (directly or indirectly) give rise to, for example, of the family’s exodus from Québec, which is the key to all the other stories where the grandmother is the heroine and the mother the principal narrator, and which is retold by her daughter Gabrielle. In the same way as their artistic gifts (with their extraordinary powers of consolation) are communicated from mother to daughter, the four «sorceresses» spring forth from each other and spawn the stories (marvellous examples of self-revealing writings) that make up Roy’s work as a whole. Her work may consequently be seen as one great artist’s body of work, or Künstlerroman, in which she vindicates the suffering, not only of her father, but of all those close to her. Thus, in place of the father’s book the destruction of which is recounted in the autobiography, Gabrielle Roy’s great masterworks spring to life.