Vol. 17, nos 1 et 2, 2005, p. 117-134
Seuils et frontières dans Le coulonneux de Simone Chaput
par
Lise Gaboury-Diallo
Collège universitaire de Saint-Boniface
Winniepg (Manitoba)
RÉSUMÉ
Les frontières invisibles qu’on érige et les seuils qu’on négocie ou franchit sans cesse peuvent être à la fois géograhiques, nationaux, ethniques, culturels, linguistiques et même sexuels. L’expérience des limites ou des bornes est représentée par la figure de la frontière dans la littérature et peut s’opposer à la notion de leur effacement ou de ce qu’on appelle déterritorialisation. Or, dans la littérature franco-manitobaine contemporaine, le phénomène du régionalisme est souvent négligé au profit d’une certaine ouverture sur le monde. De nouvelles préoccupations apparaissent dans la fiction, remplaçant alors les marqueurs culturels traditionnnels où s’inscrivaient les discours autrefois mythifiant le passé ou les messages idéologiques de la minorité célébrant la langue, la patrie et la foi. Dans certains textes récents, la spécificité univoque du minoritaire se fracture, et l’éclatement identitaire est tel qu’il permet l’analyse d’une nouvelle thématique, celle de «l’altérité cosmopolite», évoquée par Simon Harel (1999). Chez Simone Chaput, les échanges transculturels et le voyage initiatique sont privilégiés de sorte que la thématique des limites (Grenzen) et des bornes (Schranken) permettent de saisir les attitudes changeantes des protagonistes qui évoluent dans un monde où les points de repère semblent être continuellement modifiés. Dans Le coulonneux, l’errance spirituelle et la transhumance physique vont de pair, et la quête personnelle qu’entreprennent Gabriel, Camille et Amandine est narrée par chacune de ces trois voix distinctes. L’examen des figures métaphoriques du voyage, des frontières et des limites, que doivent traverser ou transgresser les protagonistes vivant en marge de la société, nourrira notre réflexion sur la question de la fragilité et de la perméabilité de la notion d’identité chez Simone Chaput.
ABSTRACT
The invisible borderlines we create and the thresholds we are constantly crossing can be at once geographical, national, ethnic, cultural, linguistic and even sexual ones. The experience of such boundaries manifests itself in literature in the image of the border, but also in the absence thereof, or in the notion of deterritorialization. But in contemporary Franco-Manitoban literature, regionalism is often neglected, its writers favouring a broader perspective on the world. In fiction, other preoccupations are emerging, replacing the traditional cultural markers of a mythologizing discourse transmitting ideologically coloured messages centred on the language, faith and patrie of a cultural minority. In some recently published works, this univocal articulation of the minority experience has allowed a new theme to emerge, namely that of "cosmopolitan otherness," as described by Simon Harel (1999). In Simone Chaput’s work, transcultural exchange and travels of discovery constitute an overriding theme of borders (Grenzen) and limits (Schranken), which reveals the changing attitudes of protagonists dwelling in a world in which the points of orientation are constantly shifting. In Le coulonneux, spiritual quest and physical migration are bound up with one another. The respective personal quests undertaken by Gabriel, Camille and Amandine are narrated by each of their distinctive voices. Chaput's metaphors of identity, boundaries and limitations, the latter having to be overcome or broken down by socially marginal characters, reinforce the author's depiction of the fragility and porousness of identity.