Vol. 14, nos 1 et 2, 2002, p. 61-88

 

«Les troub'»: analyse linguistique d'un texte oral en français des Métis

par

Robert A. Papen
Université de Québec à Montréal (UQÀM)
Montréal (Québec)

RÉSUMÉ

Il existe une variété de français au Canada qui n’a généralement pas attiré l’attention des linguistes ou des sociolinguistes, même si cette variété existe depuis au moins le début du XVIIIe siècle; il s’agit du français des Métis de l’Ouest canadien. Cette variété de français – de tradition strictement orale – possède de nombreux traits structuraux qui, d’une part, sont communs aux autres parlers français issus de la vallée du Saint-Laurent mais qui, d’autre part, l’en différencient de manière frappante. Dans cet article, nous avons choisi de faire l’analyse linguistique d’un texte oral dont l’auteur est un Métis aîné de Batoche (Saskatchewan). Dans ce texte, le locuteur raconte sa version des faits historiques ayant eu lieu à la Rivière-Rouge en 1870 et à Batoche en 1885. Nous présentons premièrement la définition de quelques termes, tels que français «vernaculaire», français «standard» ou «de référence», les distinctions à apporter au français oral et écrit et à leur description. Par la suite, une transcription orthographique «adaptée» du texte est présentée. Nous procédons ensuite à la description de certains aspects de la structure du français des Métis, tels que présents dans le texte. Nous évoquons un certain nombre de traits phonétiques spécifiques au français des Métis, tels que la fermeture plus ou moins systématique des voyelles moyennes et l’affrication palatale des occlusives dentales. Sur le plan morphologique, nous discutons du phénomène de l’agglutination de [l] à des verbes à initiale vocalique, de la régularisation des thèmes verbaux, particulièrement des formes «sontaient» et «ontvaient» pour étaient et avaient, de la réduction des auxiliaires à une forme d’avoir, de l’emploi du pronom ça comme pronom personnel et des emprunts à l’anglais. Sur le plan de la syntaxe, nous analysons l’emploi du complémenteur que, de la construction «possessive» – influencée par le substrat algonquin – ainsi que les relatives. Nous concluons par quelques commentaires sur le plan discursif, particulièrement l’emploi des connecteurs discursifs et des commentaires métadiscursifs.

ABSTRACT

There exists a variety of French in Canada which has generally not attracted the attention of linguists or sociolinguists, even if this variety has existed since the beginning of the 18th century: the French spoken by the Métis of Western Canada. This strictly oral variety of French has a number of structural traits which on the one hand ties it closely to other varieties of “Laurentian” French but which on the other hand make it quite distinct. In this article, we analyse an oral text produced by an Métis Elder from Batoche, Saskatchewan. In the text, the speaker recounts his personal version of the historical events which occurred in the Red River in 1870 and in Batoche in 1885. First we provide definitions of a number of terms such as “vernacular” French, “standard” or “reference” French, distinctions between oral and written French and their respective descriptions. We then provide an adapted orthographical representation of the oral text. We subsequently describe a number of structural aspects of Métis French, as present in the text. We point out some phonetic traits which seem to be specific to Métis French, such as the closure of the mid vowels and the palatal affrication of dental stops. From a morphological point of view, we discuss the agglutination of [l] to vowel-initial verbs, the regularization of verb stems, particularly the forms “sontaient” and “ontvaient” for étaient and avaient, the use of a single auxiliary form avoir, the use of ça as a personal pronoun and borrowed forms from English. As for syntax, we briefly analyse the use of the complementizer que, the “possessive” construction which seems to be influenced by an Algonquian substrate, as well as relative clauses. We conclude with some comments on the discursive aspects of the text, particularly the use of discourse connectors and metadiscursive comments.