Vol. 10, no 1, 1998, p. 91-126
Une question de valeur: les femmes artistes au Manitoba avant 1950
par
Claudine Majzels
University of Winnipeg
Winnipeg (Manitoba)
RÉSUMÉ
Peu de gens pourraient nommer de nos jours une artiste manitobaine de la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale. Il est cependant indéniable que les Manitobaines réalisent depuis longtemps des œuvres d’art et d’artisanat, qu’il s’agisse d’abord des femmes autochtones, puis des immigrantes par la suite. Toutefois, c’est la distinction entre les notions de «beaux-arts» et d’«artisanat et art décoratif» qui occupe notre attention. La marginalisation des femmes par rapport aux structures sociales, politiques et économiques de l’époque se manifeste également par le clivage entre l’artisanat et les arts décoratifs féminins et l’art, que l’on associe aux hommes. Les formes d’art que privilégient les musées, les galeries d’art, les écoles de beaux-arts et les collectionneurs privés sont limitées en nombre par les préjugés d’une élite patriarcale. Tandis qu’on tient la peinture en grande estime, on accorde peu de valeur à la broderie ou à la peinture sur porcelaine, par exemple. De plus, la séparation idéologique entre l’art et le travail reflète la distinction qui existe au plan social entre ceux qui peuvent se permettre d’embrasser une carrière dans les arts et ceux qui ne le peuvent pas. Ce n’est pas un hasard si la plupart des arts que pratiquent les femmes avant 1950 sont marginalisés et, par conséquent, dévalorisés. Le paradoxe, c’est que l’on ne considère pas l’«ouvrage» des femmes – broderie, dentelle, couture, peinture sur porcelaine, tricot et crochet, etc. –, réalisé au sein du foyer, comme du véritable travail devant être rémunéré. N’étant donc ni de l’art ni du travail, la production artistique des femmes est ravalée au rang de passe-temps, ce qui a pour effet de renforcer la construction sociale de la féminité. Le temps est venu de réévaluer la créativité, la sensibilité et le talent des femmes de cette époque par rapport au contexte historique de celle-ci.
ABSTRACT
Few people today would be able to name a Manitoba woman artist from the period before the Second World War. Nonetheless, it is undeniable that since early times, first native and later immigrant women dedicated themselves to the production of art and craft. However, it is this distinction between so-called “fine art” and craft that deserves our attention. The marginalization of women in the social, political and economic structures of the period is also evident in the split between the feminine crafts and masculine arts. The art forms privileged by museums, commercial art galleries, art schools and private collections are limited by the biases of a patriarchal elite. Whereas painting on canvas is held in high esteem, embroidery and china painting have been considered inferior media. Moreover, the ideological separation between art and work is a reflection of the social division between those who can afford to choose a career in the arts and those who cannot. It is not accidental that many of the arts practiced by women before 1950 were marginalized and consequently devalued. The paradox is that “women’s work”, that is, the arts of embroidery, lace-making, sewing, china painting, knitting, crochet, etc., were unpaid labour when performed in the home. Neither art nor gainful employment, women’s art production was reduced to the category of a pastime that further re-inforced the social construction of femininity. It is time to revalue the creativity, sensibility and virtuosity of women in the historical context of the period.