Profils d'anciens
La lutte sans répit de Karlee Sapoznik contre l’esclavage moderne
Cet article a été publié dans le magazine Sous la coupole, numéro Hiver 2011-2012
Étudiante au doctorat engagée dans la lutte contre l’esclavage moderne, Karlee Sapoznik multiplie les projets et maintient des liens solides avec le Collège.
Née à Winnipeg, Karlee Sapoznik apprend le français à l’école secondaire d’immersion Jeanne-Sauvé. Ni l’un ni l’autre de ses parents ne sont francophones. « Il était important pour mes parents d’enrichir notre vie culturelle avec l’apprentissage d’une autre langue. L’ouverture culturelle est une valeur fondamentale chez nous. »
Ce cheminement se poursuit au Collège, où elle complète un baccalauréat en histoire en 2007. Durant ces années, Karlee est capitaine de l’équipe de basket-ball et présidente du groupe Développement et paix (2004-2006). « J’ai développé au Collège des qualités de leader qui me servent encore aujourd’hui, explique-t-elle. Et surtout, j’y ai appris ceci, que répétait souvent une bonne amie : “un petit geste peut changer toute une vie”. »
Son passage au Collège est marqué par sa rencontre avec le professeur d’histoire Michel Verrette. « En première et deuxième années, nous discutions déjà de liberté, de droits humains, de mariages forcés. Ces sujets m’ont interpellée dès le départ. » Véritable mentor, Michel Verrette encourage la jeune Sapoznik à demander des bourses d’études et à présenter des communications lors de colloques comme la Journée du savoir. Depuis, elle participe à des événements de ce genre partout au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Italie et ailleurs.
C’est aussi à cette époque qu’elle fait la connaissance de soeur Norma MacDonald, directrice du Service d’animation spirituelle. « Soeur Norma travaille sans relâche pour réduire la pauvreté et l’injustice sociale dans le monde, dit Karlee. C’est un vrai modèle pour moi. »
À l’automne dernier, il devient donc tout naturel d’intégrer Karlee au groupe Développement et paix du Collège qui prépare un voyage au Mali. « J’ai fait ma maîtrise et je poursuis mon doctorat à l’Université York, en Ontario, mais je demeure attachée au Collège », dit Karlee.
Ce voyage de trois semaines au Mali a lieu du 14 décembre au 5 janvier. Il regroupe cinq étudiants et deux intervenants du Collège (soeur Norma et Sory Sacko). Il vise la reforestation du territoire, mais aussi la découverte des enjeux sociopolitiques du Mali, dont les formes d’exploitation humaine, auxquelles s’intéresse Karlee. « Le trafic des enfants, en direction des champs de coton ou de cacao de la Côte d’Ivoire, est un problème réel au Mali. L’autre grand problème est l’esclavage par “ascendance”. Les enfants nés de femmes esclaves deviennent automatiquement esclaves, malgré les lois internationales interdisant ce genre de pratiques. »
Karlee a seulement 25 ans. Comment se vivent durant le voyage les relations avec les étudiants actuels du Collège, qui sont presque du même âge? « C’est une relation d’échanges intéressante! s’exclame-t-elle. Ces jeunes sont à un tournant majeur de leur vie. Ils ont encore toutes les possibilités devant eux. Je les encourage évidemment à poursuivre sur la voie du développement humain. Même au Mali, il y a des occasions de travail pour eux. De leur côté, ils enrichissent mon travail et mon sujet d’études avec leur vision fraîche et leurs considérations pratiques. »
Mais d’où vient l’intérêt si vif de Karlee pour l’esclavage? Officiellement, l’esclavage n’existe plus dans le monde. Or, on apprend que 27 millions de personnes (le double du nombre d’Africains transférés en Amérique durant quatre siècles d’esclavage) sont toujours esclaves. Cet esclavage moderne prend différentes formes, du travail forcé aux mariages serviles, en passant par l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants. Même le Canada sert de transit au trafic humain. « Il est important pour moi de contribuer directement à la liberté et à la justice sociale dans le monde. »
Elle profite du doctorat pour approfondir ses connaissances sur les mariages forcés, que ce soit en Somalie, en Sierra Leone, mais surtout au Canada. Étudiante douée, elle bénéficie d’une bourse du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH).
Entre autres projets, Karlee, sous la direction d’Adam Fuerstenberg de l’Université Ryerson, collabore à une étude de la « Shoah par balles », qui a fait un million et demi de victimes parmi les juifs d’Ukraine et de Biélorussie entre 1941 et 1944. Les grands-parents de Karlee, originaires de Pologne et d’Ukraine, ont d’ailleurs échappé à la Shoah pour se réfugier au Canada. En octobre dernier, Karlee a amené son grand-père en Israël pour y retrouver deux cousins qu’il croyait morts depuis 70 ans. « Il ne faut jamais désespérer. Je le redis, un petit geste peut changer toute une vie. »
L’engagement de Karlee ne s’arrête pas là. En janvier dernier, elle lançait officiellement l’organisme Alliance contre l’esclavage moderne (AAMS – Alliance Against Modern Slavery). Le lancement a pris la forme d’un concert-bénéfice et d’une journée de colloque.
Et le français dans tout ça? Pour la finissante des écoles d’immersion St-Germain, Julie-Riel et Collège Jeanne-Sauvé, sa langue d’adoption demeure importante. « Justement. Le site d’AAMS sera bientôt traduit en français. Cette langue demeure très importante pour moi. Je retourne au Collège et à Saint-Boniface le plus souvent possible et je me fais des amis parmi les étudiants francophones de York. J’ai des collègues originaires du Sénégal, du Mali. » Dans un avenir pas si lointain, Karlee rêve de devenir professeure d’histoire des droits humains et d’antiesclavagisme à l’université. Qui sait, peut-être reviendra-t-elle enseigner au Collège?