PROFILS | Publié : novembre 2022

Il y a 100 ans, le Collège brulait

Novembre 1922. Collège en feu et décombres.

Le bâtiment du Collège, construit en 1902, laissé en ruines.

Le 25 novembre 1922, le Collège était en feu. En quelques heures seulement, dix personnes ont perdu la vie, un bâtiment historique a été anéanti et le cœur de la population, marqué à jamais. Mais les jésuites, qui dirigeaient le Collège à ce moment, n’ont pas laissé cette nuit cauchemardesque s’abattre sur l’éducation des jeunes du Manitoba. Malgré l'incendie qui ébranla la population de Saint-Boniface, ils ont eu le courage de se relever pour la survie de la francophonie dans l’Ouest.

Enraciné dans la communauté depuis plus de deux siècles

Les origines de l’Université de Saint-Boniface, qui à l’époque s’appelait Collège de Saint-Boniface, remontent à 1818, à la suite de l’arrivée de l’abbé Norbert Provencher dans la colonie de la Rivière-Rouge. Celui qui deviendra le premier évêque de Saint-Boniface avait alors entrepris l'éducation de la grammaire latine à des garçons dans sa propre résidence.

Le mandat du Collège de Saint-Boniface était de former de jeunes hommes destinés à la prêtrise. Le clergé séculier assurait l’éducation des garçons. L’incorporation du Collège par le gouvernement manitobain est marquée par l’entrée du Manitoba au sein de la Confédération canadienne en 1871. Pour assurer le bon fonctionnement du Collège, Mgr Taché demanda aux jésuites d’en prendre la direction en 1885. Le Collège de Saint-Boniface est le premier établissement d'enseignement universitaire de l’Ouest canadien et devient le centre de la francophonie.

Le Collège desservait la population catholique francophone et anglophone du Manitoba. C'était l’endroit de prédilection pour l'éducation des jeunes hommes catholiques, et on pouvait y recenser en moyenne 300 étudiants d’une quinzaine de nationalités. Cela dit, les étudiants francophones étaient toujours en majorité.

Vieux Collège situé sur le boulevard Provencher. Le Collège, construit en 1880, situé au boulevard Provencher.

Victime de sa popularité, en 1880-1881, le Collège devint trop petit, et Mgr Taché décida de construire un nouvel édifice sur un terrain situé dans le quadrilatère formé aujourd’hui par le boulevard Provencher, l’avenue de la Cathédrale, et les rues Aulneau et Saint-Jean-Baptiste. Une aile serait ajoutée en 1902 et constituera le cloitre des jésuites. Trois années plus tard, une seconde aile serait greffée afin d’héberger le dortoir des élèves.

L'incendie

Le 24 novembre, les Philosophes présentèrent un spectacle dans la Salle académique, pour les célébrations de la Sainte-Catherine. Au moment de se coucher, les pensionnaires étaient loin de se douter que ce serait leurs dernières heures dans le Collège. Le 25 novembre, vers 2 h 15, le père Onésime Lacouture fut réveillé par le bruit d’une explosion qui semblait s'être produite tout près de sa chambre. Il se précipita hors de sa chambre pour constater que le feu consumait le Collège!

Le bâtiment du Collège en feu.
Le 25 novembre 1922, les flammes consument le bâtiment du Collège.

Sous une épaisse fumée étouffante, les résidents furent tirés de leur sommeil pour évacuer les lieux. Le Collège ne comptait que deux sorties de secours situées à l'arrière de l’édifice. Les chambres privées des universitaires sur la façade n'avaient pas d'escalier de secours. Ceux-ci durent sortir par les fenêtres.

« … il fallait sortir par une fenêtre, descendre un étage, marcher et ensuite prendre l’échelle pour arriver en bas. On n’avait jamais pratiqué l’évacuation en cas d’incendie. L’échelle était vieille, en bois et usée… un beau combustible pour le feu. Je suis sorti du Collège avec un bas et une jaquette. Il avait un petit Tremblay, il était mon voisin de dortoir et c’était un dormeur. On l’a tous réveillé pour sortir, mais le petit gars s’est recouché et s’est rendormi… » - Mathieu Lemoine

Les flammes pouvaient être aperçues à plus de 120 km. Les pompiers reçurent l'appel vers 2 h 25. Le brasier s'était propagé avec tellement de rapidité que presque tout l'édifice fut perdu. Seule la cuisine a été épargnée – aujourd’hui, l’édifice demeure inoccupé. La chaleur était très intense et les étincelles se répandaient un peu partout. Heureusement, le terrain était assez grand pour éviter la propagation de l’incendie. L'évacuation des résidents du collège dura, selon les estimations, une trentaine de minutes.

« Je sonne l’alarme en allumant les lumières et je crie aux élèves "Levez-vous, habillez-vous, dépêchez-vous…" J’ai pensé à crier "Au feu!" mais je craignais de soulever la panique… La fumée s’est répandue rapidement, et en quelques secondes, avait rempli tous les corridors. Le feu avait commencé un peu après 2 h, et une heure plus tard, le Collège n’était plus qu’un horrible brasier : tout s’effondrait » - père Euclide Gervais

Des pertes inestimables

Les dommages matériels furent évalués à 700 000 $, dont 600 000 $ pour l'édifice uniquement. Parmi les débris, le Collège possédait deux laboratoires de sciences nouvellement modernisés, un musée et deux bibliothèques contenant plus de 20 000 volumes. L’un des seuls séismographes dans l’Ouest canadien était aussi parmi les décombres. Toutefois, les pertes vont bien au-delà; neuf étudiants et un frère jésuite y ont laissé la vie. Cet incendie laissa une lésion profonde au sein de la population francophone du Manitoba.

Cercueil de William Arthur Taylor transporté lors des funérailles.
Cercueil de William Arthur Taylor transporté lors des funérailles.

Quelques jours plus tard, plus de 4 000 membres de la communauté se réunissaient pour assister aux funérailles à la cathédrale de Saint-Boniface. Les dépouilles furent inhumées dans une seule fosse au cimetière de Saint-Boniface le 1er décembre 1922.

« Je voulais vous parler du feu du Collège. Il est éteint, mais je vous assure qu’il n’est pas éteint dans notre mémoire. » – Albert Lambert

Cause indéterminée

Voyant la gravité du sinistre, la Province décida d’ouvrir une enquête afin de déterminer la cause de l’incendie. L'enquête débuta le lundi 27 novembre, par le témoignage des étudiants, des jésuites ainsi que des pompiers présents lors du drame. En tout, ce fut soixante-six témoignages qui ont été recueillis. Le témoignage le plus saisissant est sans doute celui d’une résidente de la rue Desautels, madame Loiselle :

Le soir du 25 novembre, elle [madame Loiselle] traversa le terrain du Collège. Près de l'avenue Provencher, elle vit un homme se tenant à l'intérieur du terrain, près de la clôture. Il était huit heures et faisait sombre. Cet homme était de taille moyenne, portait un court veston de nuance kaki, une culotte et des molletières de même. Il avait en main quelque chose qui semblait un câble. Mme Loiselle, accompagnée de sa fillette de 8 ans, passa à 30 pieds de cet homme. Il ne fit rien de suspect et elle crut que c'était un ouvrier. En revenant par la même route à dix heures, elle fut effrayée de le voir encore au même endroit, mais plus loin de la clôture, plus près du Collège et marchant lentement. Ses soupçons ont été éveillés le lendemain matin, après le feu.

Dans leurs recherches, les enquêteurs découvrirent qu'un ancien professeur, qui avait été remercié de ses services à peine deux semaines avant les faits, était recherché par la police. La description du suspect recherché ressemblait drôlement à celle du témoignage de madame Loiselle. Faute de preuves, le commissaire rejeta la théorie d'un incendiaire.

Plusieurs rumeurs circulent encore aujourd’hui au sujet de ce qui aurait pu démarrer le feu, notamment un circuit électrique défectueux, une chandelle sans surveillance, une fuite dans un laboratoire de chimie, une cigarette, etc. À ce jour, la cause exacte de l’incendie demeure inconnue.

Le début d’un nouveau chapitre

Le lendemain du sinistre, Mgr Arthur Béliveau céda le Petit Séminaire aux jésuites afin qu’ils poursuivent l’enseignement. Cet édifice, construit en 1911, est l’Université de Saint-Boniface telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Bâtiment du Petit Séminaire, construit en 1911.
Bâtiment du Petit Séminaire, construit en 1911.

Les taxes municipales particulièrement élevées ne permettaient pas au Collège d’être entièrement assuré en cas de sinistre, ce qui a entrainé de sérieuses difficultés financières qui rendait impossible la reconstruction du Collège, comme le souhaitait la majorité de la population. Un comité de reconstruction fut donc mis sur pied afin d’amasser suffisamment de fonds pour agrandir le Petit Séminaire. L’espace étant restreint, il fut décidé de séparer dans deux édifices différents les étudiants anglophones et francophones. C’est ainsi que le Collège de Saint-Boniface devint entièrement francophone en 1941.

L’incendie de 1922 a mis de l’avant la résilience des francophones du Manitoba qui ont mobilisé leurs forces afin de préserver cet établissement d'enseignement historique qui occupe une place fondamentale dans la francophonie manitobaine d’aujourd’hui.

 

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