Correspondant de Radio-Canada à Washington, Frédéric Arnould est une voix incontournable du journalisme canadien lorsqu’il est question des États-Unis. Depuis plus de deux décennies, il observe, analyse et raconte les transformations de cette grande puissance mondiale, d’abord comme reporteur national effectuant des remplacements à Washington et maintenant comme journaliste établi au cœur de la capitale américaine.
S’il a amplement écrit sur les États-Unis pour le diffuseur public, Frédéric Arnould caressait depuis longtemps le rêve de rédiger un livre basé sur ses conversations plus intimes avec les Américains, un peuple qu’il a vu se fissurer au fil des ans.
Dans son tout nouveau livre, C’est aussi ça, l’Amérique, le journaliste brosse un portrait saisissant d’une nation polarisée, nous plongeant ainsi dans les réalités complexes et contrastées d’un pays qu’il décrit en quête d’identité. À travers des rencontres authentiques et des récits poignants, il dépeint une nation marquée par des tensions sociales, politiques et culturelles grandissantes.
Diplômé de la maitrise ès arts en études canadiennes et interculturelles de l’Université de Saint-Boniface (USB), Frédéric Arnould se penche sur son parcours, son rôle d’expert en politique américaine et les dynamiques qui façonnent l’Amérique contemporaine dans cet entretien exclusif.
D’abord, peux-tu expliquer comment ton intérêt pour la politique américaine est né?
Frédéric Arnould (F. A.) : Depuis mon adolescence, j’ai toujours eu un grand intérêt pour les États-Unis. Dans les années 90, lorsque j’ai immigré de la Belgique vers le Canada, j’avais toujours en tête d’un jour couvrir l’actualité politique américaine à Washington. Quelques années plus tard, lorsque je me suis établi à Winnipeg en tant que reporteur national dans les Prairies canadiennes, j’ai eu l’occasion d’aller remplacer [des collègues] à quelques reprises au bureau de Radio-Canada à Washington. C’était le début de la réalisation de mon rêve américain.
Comment ton parcours t’a-t-il mené à être correspondant de Radio-Canada à Washington?
F. A. : Au fil des années, après une multitude de remplacements dans la capitale américaine, et ayant couvert l’actualité de la deuxième assermentation de Barack Obama en 2012, les élections américaines de 2016 et surtout celles de 2020 opposant Trump à Biden, on m’a finalement offert le poste de correspondant à Washington en juillet 2021.
Comment la réélection de Donald Trump influence-t-elle les relations entre les États-Unis et le Canada, notamment en matière de commerce et de diplomatie?
F. A. : Depuis la réélection de Trump en novembre 2024, le ton de la politique américaine a beaucoup changé. Donald Trump agit comme un bulldozer pour forcer tous ses alliés à revoir leurs alliances avec les États-Unis. Ce qui n’est pas sans poser de graves tensions dans les relations économiques, commerciales et politiques, notamment pour le Canada.
Quels changements majeurs perçois-tu dans la manière dont le Canada ajuste sa politique étrangère face à l’évolution du paysage politique américain?
F. A. : Avec les idées fantaisistes de Trump qui voudrait annexer le Canada, notre pays cherche encore une façon de réagir face à cette menace américaine. Ce qui complique les échos, c’est que le gouvernement de Justin Trudeau est en fin de mandat et sur le point de vivre un potentiel revirement politique lors des prochaines élections fédérales.
Pour l’instant, la réponse canadienne est un peu tiède parce qu’on ne sait pas vraiment ce que pourrait faire Trump avec le Canada. Il semble vouloir mettre l’économie du Canada à genoux avec ses menaces de tarifs douaniers sur tous les produits canadiens dans le but de forcer notre pays à s’annexer et devenir le 51e État américain.
Quels sont les impacts de la politique économique de Donald Trump sur les entreprises et les travailleurs canadiens?
F. A. : Pour l’instant, face à cette menace de tarifs douaniers, les entreprises canadiennes sont nerveuses, car l’impact sur les exportations vers les États-Unis pourrait être dévastateur. Dans cette incertitude, certains producteurs canadiens hésitent à embaucher du personnel, et peut-être même, ont des plans de mises à pied si l’économie canadienne chute.
Cependant, Trump semble oublier que dans le cas où des droits de douane américains seraient imposés sur les produits canadiens, ce sont les importateurs américains qui devront payer ces tarifs, et non les entreprises canadiennes. Par conséquent, les importateurs américains devront augmenter leur prix et ce seront les consommateurs américains qui subiront les répercussions de ces tarifs douaniers. Il n’y aura aucun gagnant dans cette guerre commerciale.
Penses-tu que la montée des mouvements conservateurs et populistes aux États-Unis pourrait avoir un effet d’entrainement sur la scène politique canadienne?
F. A. : La méthode populiste de droite, voire d’extrême droite, de Trump a déjà été utilisée dans plusieurs pays, notamment en Argentine et au Brésil. Le repli sur soi de certains pays et le refus de financer des programmes sociaux, [mesures] qui sont [proposées] par certains populistes de droite et populaires pour une portion de la population, permettent à ces politiciens de financer des baisses d’impôts pour les personnes plus aisées.
Ce genre de politiques risque de creuser davantage les écarts entre les plus riches et les plus démunis, augmentant les risques de fracture sociale dans les pays qui décident d’adopter la méthode de Trump.
Dans quelle mesure les politiques migratoires américaines affectent-elles le Canada, notamment en ce qui concerne l’afflux de demandeurs d’asile à la frontière?
F. A. : Le fait que Trump ait brandi la menace de tarifs douaniers sur les produits canadiens, sous prétexte que la crise du fentanyl est le résultat d’une frontière canadienne trop perméable, a poussé le Canada à débloquer des fonds pour augmenter la surveillance des passages frontaliers.
Pour l’instant, il ne semble pas que la soi-disant nouvelle politique migratoire de Trump ait un impact tangible sur ce qui se passe à la frontière entre le Canada et les États-Unis.
Comment les médias canadiens doivent-ils adapter leur couverture médiatique de la politique américaine pour informer efficacement le public canadien?
F. A. : L’Administration Trump n’a jamais caché son mépris pour les médias traditionnels, les qualifiant souvent de « fake news », car ils l’ont souvent confronté à ses propres mensonges, faussetés et désinformation.
Depuis le début de son deuxième mandat, Trump a radicalisé son opposition aux médias traditionnels en restreignant accès [à la Maison-Blanche], au profit de nouveaux médias tels qu’influenceurs et chaines d’information de l’extrême droite qui ne possèdent pas la même éthique de travail en matière de divulgation d’informations. Ces nouveaux médias sont de véritables courroies de transmission d’informations fournies par l’Administration Trump.
Ce qui complique la situation, c’est que les médias canadiens ont peu accès aux informations, d’où l’importance pour les journalistes canadiens de se rendre sur le terrain, afin de mieux comprendre ce qui se passe dans la vie des Américains qui ont une influence sur le résultat des élections présidentielles américaines tous les quatre ans.
Quels sont les défis pour le Canada en matière de sécurité et de défense en raison des changements dans la politique étrangère américaine sous Trump?
F. A. : Donald Trump prétend que le Canada profite des États-Unis pour assurer sa défense, et donc, [le Canada] devrait payer davantage les États-Unis pour en bénéficier.
Ces propos peuvent faire référence à la petite contribution du Canada au financement de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui garantit la sécurité aux pays qui en sont membres.
Parce qu’à part cela, on ne voit pas trop ce que Trump veut dire, vu qu’il n’y a pas eu vraiment de menaces contre le territoire canadien. À part celles proférées par Donald Trump qui voudrait faire du Canada un état américain…
Les tensions entre les États-Unis et d’autres puissances mondiales, comme la Chine, ont-elles des répercussions directes sur l’économie et la diplomatie canadiennes?
F. A. : Difficile à dire pour l’instant. Les tensions avec la Chine, une puissance économique qui n’en finit pas d’étendre son influence économique et politique sur l’ensemble de la planète, existent depuis longtemps.
La décision de Trump de mettre fin à son engagement stratégique dans le monde, sous le prétexte de sa politique America First, n’est pas sans conséquences. Les autres puissances mondiales en profitent pour prendre la place des États-Unis, et imposer leur suprématie diplomatique.
La volonté de Trump de sabrer dans les programmes américains d’aides internationales signifie que le « soft power » américain est en perte de vitesse. Pour un voisin qui dépend beaucoup de cette alliance diplomatique virtuelle dans le monde, comme le Canada, ce n’est certainement pas une bonne nouvelle.
À ton avis, comment le Canada peut-il préserver son indépendance politique et économique tout en maintenant de bonnes relations avec son plus grand partenaire commercial, les États-Unis?
F. A. : C’est la grande question que plusieurs dirigeants et stratèges canadiens se posent face à la gouvernance de Donald Trump, qui semble déstabiliser ses précieux alliés économiques et politiques comme le Canada.